Tibo

Pour moi, peindre signifie prendre conscience. Il y a toujours une part importante de réflexion exhaustive dans mon processus. J’aime ressasser pendant plusieurs semaines des thèmes à partir desquels mes toiles prendront vie. L’inconfort de la toile blanche est souvent synonyme de découverte et de nouvelle zone d’expression. Il faut être capable de rompre pour reconstruire, ma démarche prend donc appui sur ce concept.

Bien que mes œuvres s’imprègnent de formes et de couleurs, je reviens constamment vers le cercle, symbole de la vie, symbole féminin, mais aussi de l’éternel recommencement. Le cercle sert souvent de support à une idée, une sensation, plutôt que de réel sujet. Je me nourris d’images puisées ici et là, mais je ne les reproduis jamais. Mes peintures sont l’expression picturale de mes paradoxes puisés à partir de mon inconscient, j’intellectualise mon processus.

Je me lance dans la peinture en inventant un univers désorganisé et unifié, où se reflètent plusieurs pans de réalité. Dans une volonté de simplification et de synthèse, je traduis, sous différentes formes les paradoxes qui m’habitent. Je recherche la profondeur et j’évite la ligne fixe.

Travaillant sur des camaïeux de couleurs portées par une gamme, d’orangés, de rouges de bleus, ma palette m’entraîne, par-delà mon sujet, vers un imaginaire. Je recouvre ma toile d’une couleur dominante très dense, ensuite cette sous-couche est entièrement recouverte, les teintes se fondent dans un camaïeu. À partir de là je peux commencer à peindre en ajoutant ou en soustrayant de la matière. En grattant avec les outils les plus divers, je peins tout autant qu’avec brosses et pinceaux. Chaque aspérité, chaque rayure est un motif unique tout autant qu’il lui permet de se fondre dans une dimension beaucoup plus globale et abstraite.
Je m’intéresse aussi au vitrail, à la bijouterie et à la décoration. Mais c’est dans la peinture que j’apprécie le plus l’expérience de la beauté, la recherche des sources pures de l’art, de la sensation primitive. Je ne saurais nier l’influence fortuite de Klein pour ses bleus, mais les artistes qui influencent aussi ma manière de travailler sont entre autres Manessier, Pollock, Mondrian, Picasso et Matisse.

Klein me fascine, par la force mystique de ses monochromes et de l’étalement de ses bleus dont il en a fait son véhicule premier. J’ai assimilé à certaines de mes toiles l’allongement des bleus de Klein. D’une peinture d’Église (vitrail) à des toiles devenues politisé par les grandes violences du monde, Manessier m’inspire pour ses contradictions et sa dualité. De Picasso, le révolutionnaire, je garde la notion de signe. Dans ma peinture le signe est souvent le cercle. Matisse a fait cette définition d’une œuvre d’art : « Une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées ». C’est un principe que je garde à l’esprit quand je réalise le fond d’une toile. J’ai un goût prononcé pour les couleurs saturées, les aplats texturés et les masses colorées. Pollock, pour son dripping et Mondrian pour ses représentations qu’il nomme néo-plastique, m’inspire et ce bien qu’il n’y ait aucun élément de référence dans mes toiles.

Dans tous mes tableaux, je modifie volontairement les formes en suivant deux principes immuables :
• la déformation subjective, née de l’envie de juxtaposer des couleurs accentue certains aspects du sujet représenté,
• la déformation objective, qui soumet la représentation à l’ordre nécessaire du tableau.

Ainsi, le tableau devient une réalité en soi dont l’organisation autonome est distincte du sujet dont je m’inspire. J’allonge les proportions pour donner à ces formes la force vive de leur dimension.

Je revendique, l’importance de l’imaginaire et le plaisir de la découverte. La peinture ne doit pas être simple objet de consommation et de plaisir immédiat, aussitôt consommé, aussitôt rejeté… Elle mérite mieux. Le spectateur doit faire l’effort de trouver, de créer au besoin, le chemin qui le conduit vers l’œuvre, avant d’éprouver le bonheur de vivre avec.

J’inscris ma pratique dans une tradition de recherche en peinture contemporaine, un terrain d’expérimentation fertile où l’émergence de formes nouvelles est toujours possible.